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Agence de design dédiée à la politique publique, Vraiment Vraiment met un point d’honneur à autant favoriser les bénéficiaires de service collectif que ceux qui instruisent ces derniers. Rencontre avec Grégoire Alix-Tabeling, l’un des cofondateurs de cette structure « d’intérêt général » qui aujourd’hui mène la consultation publique dédiée au futur projet urbain de Pirmil-les-Isles qui fera suite à Transfert. 



Vous avez répondu à l’appel d’offre de Nantes Métropole Aménagement concernant une consultation publique, qu’est-ce qui vous a emballé dans ce projet ?

C’est un projet de quartier très ambitieux en termes d’écologie, que ce soit sur les questions d’aménagement, de matériaux utilisés et surtout de mode de vie des futur·es habitant·es.
On peut construire un bâtiment avec des matériaux écolos et tout naturaliser, mais si les gens qui y vivent ne trouvent pas les moyens d’y vivre de manière écologique, c’est raté ! Si tout est fait en bois, mais que les habitant·es utilisent leur voiture deux fois par jour et qu’il faut bétonner autour pour se garer, c’est aussi raté ! La question, c’est comment faciliter ce mode de vie sans pour autant être dans l’injonction, faire en sorte que toutes les catégories sociales puissent bien y vivre tout en limitant leur consommation d’énergie. C’est à cela que sert la consultation et c’est passionnant d’y penser très tôt dans la conception. D’habitude, on se rend compte que les choses ne fonctionnent pas une fois le projet terminé ! Ici, tout ce qui est proposé et faisable par les gens interrogés, est intégré dans le cahier des charges des urbanistes.

   

Concrètement, en quoi consiste votre mission ?

Nous organisons des ateliers participatifs avec les futur·es habitant·es et les acteur·trices locaux, soit environ 250 personnes en tout.


Connaît-on déjà les futur·es habitant·es ? 

Pas encore ! Il a donc fallu définir des « profils » très différents les uns des autres que l’on a ensuite soumis à Nantes Métropole Aménagement. Une fois tout ça validé, on a pris notre téléphone et appelé des associations, des gens que l’on connaît, fait du porte à porte, etc. Le but consiste à créer un débat contradictoire et riche sur tous les sujets abordés, pas d’inviter les profils toujours présents dans ce genre de consultation. Au contraire, nous cherchions des gens que l’on n’entend jamais et qui ne seraient jamais venus si nous ne les avions pas invités. Par exemple, on ne pourra pas garer sa voiture devant son immeuble dans ce nouveau quartier, il faut donc trouver des solutions avec d’autres profils que ceux qui utilisent tout le temps leur vélo comme moi. Il faut aussi penser aux mono-parents, aux personnes en situation de handicap, aux personnes âgées, et trouver une manière de rendre cela facile pour eux·elles. Nous avons besoin de leurs expertises de vie !


Comment créer un consensus avec des profils aussi différents ?

Je crois peu aux études statistiques massives, je me dis que si l’on trouve une solution qui satisfait des profils complètement opposés entre eux, nous convaincrons facilement tous les gens qui se situent au milieu.


Vous parlez de « tester à petite échelle » des projets urbains, en quoi cela consiste-t-il ? 

Prenons l’exemple de l’espace d’accueil d’une mairie. Il faut réfléchir à comment les gens sont reçus, mais aussi par qui. C’est là que nous produisons des maquettes, que l’on produit des aménagements en bois ou même en carton pour voir si cela fonctionne sur le terrain. Ce genre de simulation des interactions permet de vérifier que la mise en œuvre correspond aux enjeux fixés, que la signalétique et que le vocabulaire utilisé soient les bons. Il faut éviter ce qu’on appelle les « ruptures d’usage », que les agents de la mairie soient écrasés par un protocole éloigné de leur mission principale ou que les visiteur·euses ne comprennent pas le service proposé. Contrairement aux projets « privés », la « satisfaction du client » n’est pas une fin en soi, nous mettons autant d’attention aux deux côtés du guichet !


Ce genre de processus est-il fréquent dans l’aménagement public ?

 Cela n’était pas encore un réflexe, mais il a tendance à se démocratiser. L’action publique comprend maintenant qu’il est très efficace de vérifier un fonctionnement à bas coût avant de le déployer plus largement.

 

Transfert vous a envoyé toute la matière qu’a récoltée son Laboratoire dédié, en quoi cela vous a-t-il servi ?

Nous avons reçu tous leurs comptes-rendus, puis avons tout lu et effectué un filtre tout simple : « qu’est qui n’a pas été traité en atelier et qui peut, dans notre logique, servir le futur projet urbain ? ». Plus qu’aux réflexions globales que proposaient les rapports de Transfert, nous nous sommes penchés sur toutes leurs solutions concrètes aux problématiques que nous avions identifiées. Par exemple, l’idée d’une radio dédiée est envisageable, au même titre que d’accueillir des mariages dans le quartier. Si l’on souhaite que les habitant·es s’approprient le lieu, il·elles doivent y vivre aussi des moments de vie forts et symboliques.

 

Des ponts entre le projet Transfert et le futur quartier sont-ils envisageables ?

Personnellement, je n’ai vécu le projet animé, mais les habitant·es m’en ont parlé spontanément dans les entretiens menés. Évidemment, il est forcément compliqué de faire un pont totalement direct entre Transfert, un projet d’occupation temporaire, et le projet urbain du futur quartier. Transfert s’est bâti sur un désert aride recouvrant de sable un espace humide, le quartier Pirmil-les-Isles sera totalement vert et naturalisé. La question de l’eau sera primordiale et devra accepter les risques d’inondation de la Loire. Évidemment, cela n’enlève rien à Transfert. D’ailleurs, il serait pertinent que l’esthétique de Transfert commence à ressembler aux dessins des urbanistes pour faciliter la désirabilité du projet.

 

N’est-ce pas la mission des acteurs politiques ?

Bien sûr ! Transfert constitue effectivement un projet spontané, culturel, qui émerge d’un désert. Or, le futur quartier devra être un véritable projet de transition écologique que seuls les acteurs publics et leurs forces de frappe peuvent provoquer. Je pense que pour atteindre les objectifs écologiques mondiaux, il faut aujourd’hui de grands projets massifs, de la planification. Cela ne peut pas juste s’arrêter à « pisser sous sa douche », quitte à être caricatural. Il faut une stratégie à la hauteur des ambitions !


Quelle serait la place de la Culture dans ce projet de transition ?

Une place très importante ! Nous discutons de l’espace réservé à la Culture avec la ville de Rezé, notamment suite au travail de Transfert. Si « le collectif » se résume à partager une laverie, ça va exploser au bout de deux minutes ! Il faut avoir envie d’être ensemble, cela passe par la culture, le sport, mais aussi laisser de la place à la spontanéité. Il faut créer des espaces culturels pour faire de l’interconnaissance. Je ne dis pas que les gens vont tous devenir les meilleurs amis du monde, mais qu’il·elles arrivent au moins à cohabiter. La mixité est un véritable enjeu. 

 

Comment créer des espaces dans lesquels tout le monde se sent bien ? 

Il faut qu’ils soient de qualité, esthétique et sociale, car lorsqu’on ne possède pas les moyens d’avoir de l’espace chez soi, on le trouve dans l’espace public. Malheureusement, cela passe parfois par les centres commerciaux, pour les jeunes. Les collectivités doivent faire attention à proposer des espaces non-dédiés à la consommation pour créer de l’appartenance et du respect. C’est évidemment compliqué, car il faut mettre assez d’ingrédients pour que cela se fasse, mais pas trop pour que ça reste spontané. 

 

Estimez-vous que ces espaces ne sont pas assez pris en compte dans les projets urbains ?

 C’est malheureusement toujours là-dessus qu’on rogne à la fin d’un projet, ce qui n’est heureusement pas le cas dans le projet Pirmil-les-Isles.

 

Vraiment Vraiment se définit comme une agence de « design d’intérêt général » ? Quelle serait votre définition de l’intérêt général ? 

Ce n’est pas évident ! Disons que notre objectif consiste à choisir des projets dépassant l’intérêt individuel, qu’ils soient attentifs au collectif et plus généralement à l’environnement et sa future évolution. Par exemple, nous ne travaillerons pas sur un projet public qui consiste à diminuer le nombre d’agents d’une collectivité pour les remplacer par des services numériques. Nous souhaitons une action publique proche des gens, efficace tout en assurant de bonnes conditions de travail aux agents et qui, évidemment, prend en compte les enjeux climatiques, sociaux et démocratiques de demain. Nous nous assurons aussi à ce que les politiciens qui mènent un projet soient réellement attentifs aux propositions de la participation citoyenne. Parfois, cette participation populaire n’est que cosmétique et maquille une décision politique prise à l’avance. Malheureusement, cela renforce le climat de défiance envers l’action publique et la politique en général. 


Revenons à Transfert pour finir. Pour vous, quel sera l’héritage de ce projet ?

Déjà, un legs immatériel énorme ! Il y a des éléments très intéressants dans les observations de leur Laboratoire, notamment sur la vie de quartier, mais surtout l’attachement à ce nouveau quartier. C’est primordial ! Quant au legs matériel, ce n’est pas de mon ressort. Le toboggan à Vache était super ! Il serait aussi génial de garder Le Remorqueur et son histoire dont certain·es nantais·es me parlent avec des étoiles dans les yeux. Après, est-ce que cela doit s’intégrer dans le nouveau quartier ou plutôt faire revivre un autre espace qui ne demande que ça ?

 

Interview réalisée le 5 janvier 2022 par Pierre-François Caillaud (rédacteur en chef de Grabuge magazine).

Photo © Alix Tabeling