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Collaborateur de Pick Up Production depuis 2003, scénographe de nombreux festivals, co-créateur de l’agence QUB qu’il a aujourd’hui quittée, Éric Gauthier est l’un des chefs d’orchestre de l’esthétique de Transfert ! Rencontre avec un ambitieux adepte du système D !

Ma première question est simple, comment devient-on le scénographe de Transfert ?
J’en ai eu l’écho un an avant que Pick Up Production ne l’officialise ! Je savais qu’il se tramait quelque chose… Ils voulaient bosser avec moi, en duo avec Carmen Beillevaire, une des auteurs du projet. On peut dire qu’ils m’ont dragué et fait rêver (rires).

Quel était leur argument ?
Principalement , le champ des possibles, cette occasion de mêler mes différents savoir-faire comme l’architecture et la décoration, de réfléchir aux usages autant pratiques qu’esthétiques. Pick Up Production m’a fait comprendre que l’on ne serait pas des scénographes, mais des défricheurs ! Je viens du système D, voire E, celui qui oblige à être aussi économique que créatif. Il s’agissait bien de ça, mais avec des vrais moyens et donc une ambition inédite : l’occasion pour notre génération, celle des enfants des Allumés, du Royal de Luxe, d’envoyer du lourd !

En quoi consistait concrètement ton travail ?
Faire la balance entre les ambitions artistiques, le budget et les différents intervenants, en menant tout de front pour que tout soit cohérent pour que le public évolue dans cet espace utopique. J’ai reçu un projet de 60 pages avec des matériaux à utiliser, d’autres à proscrire, une manière de faire, mais aussi une histoire, celle de Nomades qui s’installent dans un lieu désertique. Mon travail, c’est de la traduire, de la rendre possible et concrète, de ne pas oublier les usages. Avec Carmen, nous étions les metteurs en scène du film écrit par les auteurs. Il faut donc trouver les bons acteurs, les bons accessoiristes etc.

Avec Pick Up Production, vous avez choisi de faire appel à des gens que vous connaissiez, même si certains n’avaient jamais participé à un projet de cette ampleur…
Si nous avions contacté des inconnus, nous n’aurions jamais fini le site dans les temps ! Faire participer les copains nous permettait de leur en demander plus (rires). Notre travail, c’est de les rassurer. Par exemple, pour l’entrée de Transfert, nous avions l’idée d’un espace couvert de 300m2 en forme de bouche gigantesque, comme un sas pour le passage d’un état à un autre. La Briche Foraine, le prestataire, m’a répondu « c’est impossible », alors nous avons travaillé sur une autre idée, encore trop chère. Je me suis dit « augmentons le budget » (rires). J’ai négocié ça avec Pick Up Production qui a compris qu’il fallait mettre des moyens là-dedans. Aujourd’hui, les gens se sont appropriés cette entrée. Elle est même au centre de la communication autour de Transfert. J’ai donc un rôle de médiateur entre la production, les fabricants et les artistes.

Faire cohabiter des artistes et des entreprises privées dans un tel projet a-t-il créé des frictions ?
Bien sûr ! Chacun a dû faire un pas vers l’autre et mettre de l’eau dans son vin. De plus, l’idée était de faire travailler ces gens différemment, hors de leur zone de confort. C’est là que ça devient intéressant et créatif, même si je les ai parfois poussés à bout. Avec un chantier à rendre en si peu de temps, il y a plein de tensions, que ce soit chez Pick Up Production, chez les décorateurs… Humainement, c’était aussi très fort. Dans notre entourage, nous avons fait face à un décès, ça a été très dur, mais ça nous a aussi resserrés.

Éprouves-tu de la frustration de laisser la suite à d’autres, comme c’est prévu dans le projet, pour la deuxième édition ?
Évidemment, dans le sens où le gros du challenge et du travail a été fait. C’est là que ça va devenir intéressant, car on peut commencer à mettre des paillettes, des détails et nous avons juste effleuré ça… J’ai un sentiment d’inachevé.

Le retour du Remorqueur, c’était quand même une grosse paillette !
Malheureusement, il n’a pas ouvert cet été… Il attend de retrouver le sens que nous voulions lui donner. Aujourd’hui, l’ancien propriétaire en veut à Transfert de ne pas avoir encore rendu ce temple de la fête aux habitants.

En parlant des habitants, comment observes-tu la cohabitation des différents publics sur Transfert ?
Transfert à su rassembler des gens qui ne se croisent pas habituellement. Il y a eu des moments uniques, magiques. D’autres moins, forcément. Il y a encore une réflexion à mener sur ce qu’est le site. Est-ce un lieu de fête ? Un parc familial ?

Penses-tu que Transfert ait touché toutes les populations ?
Pas toutes… Il va falloir aller chercher les gens des cités. Avec David Bartex, nous voulions transformer un bus en crocodile et passer les prendre dans les différents quartiers. Mais ça demande trop d’argent… Soyons honnêtes, Transfert est un gros coup politique et médiatique, mais c’est aussi un gros laboratoire qui réfléchit à d’autres manières de construire et de se côtoyer. C’est une bonne excuse pour tester plein de choses, quitte à parfois se planter. J’espère que Pick Up Production aura le courage de maintenir ce cap sur la longueur, sinon ça pourrait vite devenir plan-plan !

Même face aux critiques ?
C’est bien que les gens se plaignent parfois ! Si j’extrapole, les gilets jaunes en sont bien l’exemple. Dès que tu fais quelque chose, tu déranges toujours quelqu’un, mais si tu grattes au bon endroit, ça plaît toujours à un autre. C’est comme ça que les choses changent et ne deviennent pas lisses.

Penses-tu qu’il en restera quelque chose après les cinq ans d’exploitation du site ?
Forcément ! Les plans du site ont volontairement été conçus en se calquant sur ce que l’on sait du futur projet immobilier, nous sommes des coquins (rires) ! Transfert pourrait très bien devenir la place du village.

Quelles seraient pour toi les conditions à réunir pour que ce soit le cas ?
Si Pick Up Production donne réellement les clés de Transfert aux habitants, ça marchera ! En amenant les gens à créer quelque chose d’artistique comme cela a été fait pour l’Atelier des Yeux, une œuvre d’art de dix mètres de haut fabriquée en collaboration avec des artistes et des enfants de quatre ans, le lieu appartiendra à tout le monde et sera intouchable ! Pas la peine d’aller chercher des artistes du monde entier, le Voyage à Nantes le fait déjà très bien. Cette histoire doit être racontée par les habitants ! 

Propos recueillis par Pierre-François Caillaud (rédacteur en chef du Magazine Grabuge).
Photo © Grabuge