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L’agence nantaise Katra prend en charge la direction artistique des arts visuels de la troisième édition du projet Transfert. Rencontre avec Antoine Gripay, fondateur et dirigeant du collectif de designers, pour nous parler d’un été à Transfert évidemment pas comme les autres.

 

Comment êtes-vous arrivés sur le projet Transfert ?
Antoine : Pick Up Production nous a contactés en février dernier pour une carte blanche dans le cadre de leur thématique de « l’invitation ». Au départ, je crois que nos fresques les intéressaient, ils ressentaient un besoin de relier tous ces éléments juxtaposés, d’harmoniser la direction artistique autour de l’errance. Mais nous voulions aller plus loin en puisant dans notre expérience d’usagers de Transfert.

C’est-à-dire ?
A : Il manquait une mise en récit du projet. Si tu as lu le manifeste de Transfert, c’est tout à fait clair, mais si tu viens sur le site sans cela, le récit n’est ni visible ni compréhensible. Cette histoire de nomades qui se réapproprient un désert n’est, à mon sens, pas racontée.

Faut-il rajouter du texte explicatif sur le site ?
A : Moi qui ne viens pas du monde la culture, j’ai commencé à comprendre les œuvres qui me paraissaient inaccessibles grâce aux cartels. Il n’y a pas de mal à ça, et ce n’est pas parce qu’on va écrire sur une œuvre qu’on va forcément figer une pensée. Le texte, ce n’est pas forcément explicatif, ça peut aussi poser des questions. Notre idée consiste aussi à extraire des éléments probants de ce récit et les mettre en situation. Nous nous sommes attardés sur des mots inscrits dans ce récit pour les poser en grand sur le site et les containers.

Quels mots ?
A : Par exemple, des mots simples comme « faire » ou « ensemble », qui lui a constitué une source de conflit en interne. C’est vrai qu’on dirait le slogan d’une banque… Mais ce n’est pas parce qu’une banque le prend qu’on doit lui laisser. Au contraire, il faut se le réapproprier. Voir ce mot écrit en grandes lettres tous les jours, ça oblige à être cohérent, à ne pas faire les choses dans son coin. C’est fort d’accepter ce genre de parti-pris, car il faut absolument l’incarner ensuite dans les faits.

Fresque « Faire Civilisation »

N’avez-vous pas peur de perdre cette notion d’errance en rationalisant trop le projet ?
A : Cette errance a pu perdre une partie du public qui ne savait pas comment se positionner dans cet espace. Il faut créer des parcours, parfois interconnectés.

Comme Ikea ?
A : Non (rires), mais on cherche la voie du milieu qui peut être intéressante. On veut proposer des parcours visibles dès l’entrée par trois grandes pierres de couleurs. Ce sera un parcours à la « Petit Poucet » avec des galets.

Début du parcours de galets de Studio Katra

Quelles autres problématiques aviez-vous identifiées en tant que visiteurs du site ?
A : On se posait souvent la question de « et après ? ». Lorsque tu entres dans Transfert, tu contemples d’abord cette créativité impressionnante, mais après ? Tu bois une bière. Ok, mais après ? La direction artistique de Transfert est aussi franche que belle, mais parfois au détriment du travail de fond effectué par les équipes.

Par exemple ?
A : Plus j’ai creusé le projet, plus j’ai découvert des initiatives passionnantes comme le Laboratoire, mais qui n’émergent pas forcément sur le site. Par exemple, l’équipe a travaillé sur des ateliers dédiés à l’archéologie du futur avec Le Chronographe, un musée rezéen moderne et intergénérationnel. Le résultat est génial, mais il reste dans des cartons. Il faut le mettre en valeur ! De l’extérieur, on pourrait voir Transfert comme une grosse machine à subventions qui fait un gros chèque et tout tombe du ciel. J’ai découvert que c’est tout le contraire, tout est fait par une petite équipe qui donne le maximum. Il faut absolument le montrer !

Allez-vous pouvoir réaliser tous ces projets à temps pour l’ouverture du site (NDLR : interview réalisée le 29 juin) ?
A : Le chantier est bien planifié et nous continuerons le travail après l’ouverture du site. C’est génial que Pick Up Production assume la part « en chantier » de cette édition. C’est aussi rassurant pour nous que stimulant pour le public car il observe vraiment la fabrication d’une ville, ce qui est l’essence de Transfert. Quand je vois les gars monter un chapiteau avec un fenwick, je me dis que c’est presque dommage que le public ne voit pas ça, car c’est vraiment impressionnant. Il y a deux ans, si l’installation des containers avait été visible et scénarisée, je suis certain qu’elle aurait subjugué tout le monde !

Penses-tu que les citoyens aient assez d’influence sur les choix liés à la construction d’une ville ?
A : Pas besoin d’être expert urbain pour avoir une idée de ce que la ville devrait être ! Tout le monde a un avis sur un banc ou un arbre planté dans son quartier mais bien sûr que la ville ne se résume pas à ça et que la gestion de la complexité urbaine nécessite des personnes compétentes. Pourtant, c’est aujourd’hui devenu une science qui peut s’éloigner du citoyen et de l’usager, excepté lorsqu’ils sont appelés dans un atelier collectif dans lequel aucune de ses propositions n’est prise en compte sauf le choix de la couleur peut-être !

Quelle serait votre solution ?
A : Je crois qu’il faut vite matérialiser leurs pensées, partir sur des prototypes, essayer une idée plutôt que de la théoriser durant des mois, en faire une usine à gaz coûteuse pour à la fin sortir une dalle en béton avec trois bancs. Non, testons directement une table qui va se détériorer au bout d’un an et voyons si on a envie de la pérenniser. L’urbanisme doit être simple pour être accessible aux gens.

Scénographie à l’entrée de Transfert

La Covid-19 et la crise qu’elle a provoquée ont-elles influencé votre projet ?
A : Elles ont confirmé ce que nous avions en tête, c’est-à-dire que « la fête est finie » ! Je pense qu’aujourd’hui, on ne peut plus consumer notre temps sans s’occuper des vrais enjeux sociétaux. Pour la plupart, nous avons un minimum d’éducation, un travail, de quoi manger dans le frigo, des bras et des jambes, donc toutes les facultés de réfléchir et de s’engager. Quand je vois le taux de participation des dernières élections municipales, je me dis que l’on pas le droit d’être seulement spectateur, au moins par respect pour ceux qui n’ont pas notre chance.

Quel serait l’enjeu sociétal principal ?
A : Le vrai sujet, c’est la bio-masse, le nombre de plantes sur Terre qui permettent de décontaminer l’air. Pour cela, il faut de l’eau, donc le défi principal est la gestion de l’eau. Nos villes renvoient tout à l’égout, tout retombe dans la Loire, rien n’est capté par les plantes, car tout est minéral et c’est pour cela qu’on aura de plus en plus d’inondations et des sécheresses dramatiques ! J’en veux aux villes et à la manière dont nous les construisons, nous ne prenons pas assez en comptes ces éléments fondamentaux et nous sommes trop lents dans les changements.

Entretien réalisé par Pierre-François Caillaud (rédacteur en chef du Magazine Grabuge).
Photos © Chama Chereau