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De l’art d’être architecte, ou l’architecte artiste ? In Situ a coordonné les travaux de Transfert et s’est fait un malin plaisir à ne pas répondre à la question ! Entretien avec Pierrick Beillevaire, fondateur d’une agence pas comme les autres. 

 

Comment êtes-vous arrivés sur le projet Transfert ?
Notre agence ne fabrique que des choses atypiques et nous connaissions évidemment Pick Up Production. Pour créer un lieu d’exception comme celui-ci sur la durée, on est dans une obligation de « mise en œuvre », de concrétisation. Et pour cela, il faut passer par des experts comme nous.

Aviez-vous l’habitude de travailler avec des artistes ? 

On intègre des artistes dans nos constructions depuis maintenant 10 ans. Mais cette fois-ci, on l’a fait à l’envers : nous avons mis notre conception au service des artistes. L’objectif était de leur laisser leur liberté et de confirmer leur inspiration tout en ajustant leur travail aux contraintes techniques et réglementaires. Tout ça sans dénaturer leur art ! C’est un travail sur lequel on a plutôt mis des jeunes concepteurs de l’agence. Si nous avions fait appel aux seniors comme moi, nous aurions eu tendance à donner des conseils. Or, les conseils ne sont jamais suivis, et tant mieux !



Le conseil est une erreur ? 

Pour qu’il y ait « évolution », il faut dépasser la création existante et le patrimoine. Or, le conseil a ce défaut de faire revenir des choses passées, c’est une erreur ! Le plus efficace reste de montrer, d’ouvrir la boîte pour voir comment c’est fait à l’intérieur, comprendre ce qui s’est déjà fait pour créer une autre inspiration et le « patrimoine d’après ». C’est pour ça que le lieu résonne de façon différente et qu’il connaît ce succès ! Transfert n’est pas codifié et il va continuer à évoluer.

La créativité des artistes s’est-elle parfois durement confrontée aux réglementations inhérentes à l’architecture ?
Dans ce chantier de construction, comme tous les autres, ce n’était pas du tout le monde des bisounours !
 Chacun a ses préoccupations et les artistes ont une vision progressive. Pour eux, une œuvre achevée, ça n’existe pas ! Ils n’arrivent pas avec un paquet cadeau prêt à poser, mais avec une œuvre en mouvement. Néanmoins, on arrive toujours à des accords d’intelligence afin que tout soit prêt en temps et en heure.

Respecter l’échéance de l’ouverture a-t-il été un défi ?
Tout le monde a terminé un peu à l’arrache ! On le savait, et c’est très bien comme ça ! C’est comme ça qu’ils sont et qu’ils bossent ! Et comme souvent dans n’importe quel chantier, il y a une magie du dernier moment. Finalement, nous avons produit l’équivalent d’un an de travail en seulement quatre mois…

Avez-vous appris de ces artistes ?
En termes de médiation, c’est exceptionnel ! Cela nous donne de nouveaux ingrédients pour des projets d’une autre nature. D’habitude, on inclut des œuvres artistiques dans l’architecture. Là, on part d’une œuvre et il faut faire sens autour. C’est un échange. Pour nous, le but est d’apporter des connaissances au projet pour que celui-ci devienne encore plus libre et autonome dans son développement.

Sans connaissance, pas de liberté ? 

Sans savoir, soit on devient très fâché avec son environnement (ce qui ne sert à rien), soit on connaît parfaitement la machine et ses conditions. Pour la deuxième hypothèse, la liberté est absolue ! Pour se positionner en « anti-dogme », il faut bien sûr connaître le dogme, mais aussi son initiation. Lorsque l’on veut donner librement accès à la ville, il faut aller chercher les règles qui l’ont instaurée sans se limiter aux 50 dernières années. Depuis les années 60, on est dans l’enfermement de la ville ! La liberté de passage a été sacrifiée par une volonté de libéralisme absolu. Les règles de liberté ont été stérilisées pour plus de profit !

Comment Transfert «  déstérilise  » la ville ?
C’est un projet temporaire, mais j’espère que cet éphémère va dépasser la ville, qu’il deviendra impossible pour le nouveau projet foncier du quartier de déloger Transfert. Transfert ne coûte que le prix de cinq ronds-points, c’est un geste extrêmement puissant d’invention collégiale, de culture et de fête. C’est une ville dans laquelle on peut s’embrasser, c’est essentiel. C’est d’ailleurs le seul acte public urbain qui vaut le coup !

 


Propos recueillis par Pierre-François Caillaud
 (rédacteur en chef du Magazine Grabuge)
Photo © Juliette-Nolwenn Thomas